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Les Chroniques absurdes
18 novembre 2012

Chapitre 1 : Alimentaire, mon cher Watson!

livre-icone
 
1

 La vie de Chocolat n'avait jamais été facile.

 
Vendu à la naissance pour une somme ridicule à un couple de cordonniers norvégiens, il passa les premières années de sa vie au fin fond d'un placard. Edvin et Gudrun Myklebust - les norvégiens en question - n'accordèrent jamais la moindre attention à Chocolat, excepté le jour où ils le vendirent à leur tour.
Là où il attérit, on le fit passer de main en main, et il ne resta jamais plus de quelques semaines au même endroit. Une bien triste enfance, vous en conviendrez. Son adolescence chez ce nouveau propriétaire à qui les Myklebust l'avaient vendu ne fut pas plus reluisante. Elle fut même parfaitement identique. D'une semaine à l'autre, toujours un lecteur différent. Certains le gardaient plus que d'autres, l'oubliant dans un obscur recoin de leur appartement. Mais chaque fois ils finissaient par se rappeler son existence et par le ramener à la bibliothèque.
 
Oui, Chocolat était un livre. Un livre de bibliothèque municipale. Peut-on imaginer plus triste sort?
 
Hautcône, village perdu au fin fond de la Creuse avec pour seule voie d'accès une petite route traversant une forêt obscure. Dans le jargon un peu spécialisé, on appelle ça "la totale".
Hautcône, donc, et sa bibliothèque municipale tenue par Mme Lingaux. Nous ne nous intéresserons pas à Mme Lingaux, car tant physiquement que par l'histoire de sa vie, cette femme ne présente strictement aucun intérêt...
La bibliothèque de Hautcône avait l'aspect que toute bibliothèque doit avoir dans un petit village : une dizaine de rayons dans lesquels les livres sont plus ou moins répartis selon leur thème, et deux trois tables dans les cas très peu probable où des collégiens voudraient venir travailler sous le regard soupçonneux de Mme Lingaux. Car ne pas être intéressante n'empêchait pas cette bonne femme d'être pourvue de tout les défauts accompagnant sa profession.
 
Or donc, Chocolat avait été revendu à la bibliothèque de Mme Lingaux.
 
Les habitants de Hautcône étaient tous d'un genre particulier. C'était quasiment vital quand on vivait dans un village aussi singulier. Entre Mme Vaska, la concierge grecque de l'unique immeuble du village, M. Dupond, le plombier sénégalais et M. et Mme Jigo, le couple de portugais centenaires, il y en avait à Hautcône pour tous les goûts. Tous partageaient cependant la passion des livres.
Les Hautcônois développaient un goût étonnant pour les bouquins aux titres étranges. Ainsi, Chocolat côtoyait à Hautcône aussi bien des grands classiques comme Les Misérables, Madame Bovary ou Candide, que des ouvrages plus alimentaires : Gorgonzola, Vinaigre Balsamique, Sandwich et Magret de Canard.  Ces quatre livres avaient beaucoup de points communs avec Chocolat. En fait, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que ces cinq là partageaient le même auteur. Mais vous vous doutez bien qu’il s’agit là d’un point essentiel de l’intrigue, et en tant que tel il ne vous sera révélé qu’à la fin d’un chapitre.
 
Le succès des cinq livres alimentaires de la bibliothèque de Hautcône était assez incroyable. Les listes d'attente pour les emprunter étaient toujours pleines, ne laissant pas d'autre choix à Mme Lingaux que d'annoncer un délai "d'au moins deux mois - un mois si vous êtes chanceux, mais j'y compterais pas si j'étais vous" à toute personne désirant les consulter. Mais peu importait l'attente pour les Hautcônois, ils savaient se montrer patients. 
 
Pourquoi un tel succès, me demanderez-vous? Eh bien, cette histoire n'a malheureusement pas beaucoup de sens. Elle en récupérera au fil de notre récit évidemment, mais nous n'en sommes qu'aux prémices de celui-ci. Essayez de faire preuve de patience, tel un Hautcônois.
 
Ce qu'il vous faut savoir cependant - car il vous faut bien apprendre quelques petits trucs si nous voulons avancer dans notre épopée - c'est que Chocolat et ses camarades alimentaires ne pouvaient plus supporter cette vie de vagabondage aux quatre coins de Hautcône. Vous imaginez bien les gênes occasionnées par un tel mode de vie. Sans compter que fatalement, ils finissaient toujours par revoir les même têtes, les Hautcônois adorant emprunter plusieurs fois un même livre dans l'année. L'ennui était leur lot quotidien, et chaque année semblait s'écouler plus lentement que la précédente.

Jusqu'au jour où Chocolat décida d'en finir.

2

La scène se déroule un mardi. Chocolat a été emprunté la veille par M. Dupond pour la cinquième fois de l'année. Il est 8h45. M. Dupond vient de partir pour sa tournée quotidienne. Il ne reviendra pas chez lui avant au moins trois heures, pour le déjeuner.
Chocolat a bien planifié son coup : la veille, il a subtilisé un chalumeau dans la boîte à outils du plombier, et ce matin, il a bien veillé à être rangé sur le plus bas étage de sa bibliothèque. Tout doucement, il s'avance vers sa cache, derrière le buffet à vaisselle. Après tant d'années à passer régulièrement chez M. Dupond, vous vous doutez bien que Chocolat connaissait la maison sur le coin des pages - autrement dit sur le bout des doigts, mais il n'en a pas.
Arrivé près du chalumeau caché la veille, il doute. Il ne peux certes plus supporter sa vie, mais de là à s’immoler derrière un buffet à vaisselle. Et puis il y a ses camarades de la bibliothèque. Non, ses frères!  Pendant de longues minutes il réfléchit. Il envisage même de retourner sagement se poser sur son étagère.
 
Mais se faisant, il revoit le gros visage de M. Dupond. Il ressent ses doigts boudinés qui caressent sa quatrième de couverture, son haleine putride qui vient souffler sur ses pages délicates, ses yeux globuleux qui capturent à jamais son contenu. Un véritable viol!
C'en est trop.
8h53. Il allume le chalumeau et se jette sous son feu.

3

Magret de Canard n'était pas un livre compliqué. Il tirait sa joie des plus petites choses, et savait savourait les bonheurs simples dont était jalonnée la vie. Sa nature optimiste impressionnait ses camarades, et notamment Chocolat, qui pour ainsi dire était son parfait opposé. Malgré les vicissitudes de la vie à Hautcône, Magret de Canard conservait un entrain exemplaire, et abordait constamment une couv' réjouie.

La bonne humeur légendaire de Magret de Canard lui valait une popularité hors du commun auprès des Hautcônois. M. et Mme Jigo, en particulier, le chérissaient plus que tout autre, et l'empruntaient  au moins une fois par mois. S'il arrivait que le couple ne soit pas en mesure de voir Magret de Canard pendant une trop longue période, les conséquences étaient terribles

Mme Lingaux garderait certainement à jamais en mémoire la date du 26 mars 1994. Les Jigo n'avaient alors pas pu emprunter Magret de Canard durant six longs mois.
Cette nuit-là, Mme Lingaux était restée un peu plus longtemps que prévu à la bibliothèque. Ce n'était pas dans ses habitudes, et Dieu sait que d'ordinaire, elle respectait scrupuleusement sa routine. Elle devait ce soir là rencontrer une vieille amie qui désirait prendre des nouvelles du village, de ses habitants et des livres de la bibliothèque. Elles parlèrent pendant des heures, passant en revue le moindre détail de la vie hautcônoise, jusqu'au plus insignifiant, mais Mme Lingaux s'attarda à la bibliothèque après le départ de son amie. Et c'est là que survint le drame.
M. et Mme Jigo, furieux de ne pas avoir revu Magret de Canard depuis tant de temps, prirent d'assaut le bâtiment. Ils bloquèrent toutes les issues, et armés de leurs cannes et déambulateurs, ils contraignirent Mme Lingaux à se réfugier dans la réserve. Elle pensait y trouver un refuge sûr, la pièce n'étant pourvu que d'une seule porte pour tout accès. Une position aisément défendable contre un couple de vieux schnoks, croyait-elle. C'était sans compter sur la détermination des deux vieillards, qui parvinrent à pénétrer dans la pièce par le biais de l'aération.
Là, ils la frappèrent avec des tranches de magret, lui firent écouter la traduction de la Neuvième symphonie de Beethoven  en cris de canard, l'obligèrent à tester une centaine de sex toys, et dans un excès de violence, ils lui firent les trois en même temps. Bref, ils la torturèrent. Qui l'eut cru, de la part de ces deux vieux? Tout le monde avait tendance à l'oublier à Hautcône, mais ils cumulaient à eux deux près de cent cinquante ans de perversité.
En tout cas, après cette horrible nuit, Mme Lingaux n'était pas prête de refaire la même erreur, et à  compter de cette date, un espace de réservation de Magret de Canard fut automatiquement réservé à M. et Mme Jigo tous les mois.

Les Jigo n'étaient cependant pas les seuls à vouloir profiter de l'optimisme et de la bonne humeur de Magret de Canard. M. Dupond était lui aussi un fervent adepte du bouquin. A tel point qu'il prit un jour une décision radicale : il allait enlever le bouquin !

Pour ce faire, il mit au point un plan machiavélique, digne des plus grands cambrioleurs.

Tout d'abord, il fit mine de ne plus s'intéresser du tout à Magret de Canard. Et il lui en coutât. Énormément! Afin de ne pas éveiller les doutes de Mme Lingaux, il réserva désormais Chocolat très régulièrement, au point d'en arriver à cinq emprunts pour l'année en février 2012. Certes, M. Dupond avait de l'affection pour Chocolat, mais pas autant qu'il en avait pour Magret de Canard. Néanmoins, l'exécution de son plan requérait ce petit stratagème.

Le vol eu lieu, mine de rien, lors du cinquième emprunt de Chocolat. M. Dupond cala celui-ci au jour et à l'heure précise où il savait que M. et Mme Jigo ramenait Magret de Canard à la bibliothèque tous les mois. En s'arrangeant pour arriver juste après eux, il savait que Mme Lingaux n'aurait pas le temps de ranger le livre. Il trainait donc sur le bureau de la bibliothécaire lorsqu'il vint soit disant "chercher Chocolat".

4
 
Ce mardi matin, Mme Lingaux en est sûr, quelque chose d'affreux est sur le point de se dérouler. Elle ne saurait dire pourquoi, mais elle le sent au plus profond d'elle-même. Elle en a même fait une insomnie la veille. Et celà l'empêche de faire son travail correctement. Comme vous vous en doutez, hormis les vieux couples de pervers portugais, ne pas pouvoir travailler dans les meilleures conditions était la chose que Mme Lingaux détestait le plus au monde.
 
Depuis 8 heures, horaire habituel de son arrivée à la bibliothèque, elle cherchait à comprendre ce qui pouvait bien la perturber ainsi. Elle savait que c'était quelque chose en rapport avec les livres. Tout dans sa vie était en rapport avec les livres. Mais qu'avait-il bien pu se passer ?
 
Hypothèse numéro 1 : un livre avait été volé... Noooon! Jamais! Qui à Hautcône pourrait faire une chose pareille ? Les villageois respectaient bien trop les bouquins pour oser les couper de leur ancre naturelle, la bibliothèque. Non, ce devait être autre chose, moins terrible...
 
Hypothèse numéro 2 : elle avait peut-être développé un nouveau sens suite à la terrible nuit que lui avait fait passer M. et Mme Jigo une vingtaine d'années plus tôt, un sens qui lui permettrait aujourd'hui de voir venir une nouvelle attaque des deux centenaires. Elle vérifia donc consciencieusement les alentours de la bibliothèque, en fit le tour trois fois et observa attentivement les bouches d'aération - elle ne se laisserait pas abuser une nouvelle fois ! Mais non, tout était calme, et il n'y avait aucun signe de la présence du couple de viellards portugais.
 
Hypothèse numéro 3 : il était arrivé quelque chose à Mme Livingston, sa seule et unique amie. C'était sa hantise. Si celle-ci venait à disparaitre, c'en serait fini de toute espèce de vie sociale. Elles ne se voyaient guère plus de deux fois par an, mais chaque réunion était un pur délice. Mme Lingaux commençait même depuis une dizaine d'années à éprouver un peu plus que de l'amitié pour Mme Livingston, mais chut ! De telles choses n'avaient pas lieu d'être à Hautcône, les villageois ne comprendraient pas et la verraient dès lors comme une espèce d'animal étrange et profondément dégoûtant.
 
Mme Lingaux hésita pendant de longues minutes mais pris finalement la décision d'utiliser le seul moyen qu'elle avait de contacter son amie : un numéro de téléphone. Celle-ci lui avait expressément demandé de n'utiliser ce numéro qu'en cas d'extrême urgence concernant les livres alimentaires, mais la bibliothécaire se devait de vérif...LES LIVRES ALIMENTAIRES !
 
Elle venait enfin, à 8h40, de comprendre la raison de son malaise.

Elle vérifia rapidement la liste des prêts spéciaux :
Chocolat - DUKOWSKY - du 5 au 12 février
Magret de Canard - JIGO - du 6 au 13 février
Sandwich - ENKLUME - du 7 au 14 février
Vinaigre Balsamique - VASKA - du 9 au 16 février
Gorgonzola - MUNSTER - du 12 au 19 février
Chocolat - DUPOND - du 13 au 20 février
Magret de Canard - PERNELLE - du 14 au 21 février

M. et Mme Jigo étaient bien venus rapporter Magret de Canard hier soir. Elle n'était pas prête d'oublier la moindre  rencontre avec ces deux tordus. M. Dupond était arrivé quasiment au même moment pour venir chercher Chocolat, que Mme Dukowsky avait rendu la veille. Ce matin à 8h15, le fils de M. Enklume, Jérémy, était venu ramené Sandwich avant de se rendre à l'école. Cependant, dans la vitrine qui était destinée aux livres alimentaires, il n'y avait plus que le dit Sandwich. Et Mlle Pernelle, l'institutrice, ne pourrait passer à la bibliothèque qu'à la fin de sa journée, vers 18h30.

Il n'y avait plus de doute possible : Magret de Canard avait été volé (Cooooooomment !?!?), et Mme Lingaux savait par qui !

5

8h45. "Quelle belle journée d'hiver", pensa Magret de Canard lorsqu'il vit M. Dupond s'en aller pour son boulot.

Il avait prévu de faire une surprise à Chocolat ce matin. Celui-ci n'avait pas vu la veille de quelle manière le sénégalais s'était emparé de lui alors qu'il se reposait tranquillement sur le bureau de Mme Lingaux. Il avait de suite été rangé dans la sacoche du plombier de sorte que ni la bibliothécaire, ni Chocolat n'avait pu constater le larcin. Et en arrivant chez lui, M. Dupond avait déposé Chocolat sur l'étagère du bas de la bibliothèque, dans le salon, et n'avait sorti Magret de Canard de la sacoche qu'une fois dans la chambre. 

Toute la nuit Magret avait donc trépigné d'impatience de voir la réaction de Chocolat en constatant ce vol imprévu.  "Quelle belle surprise se sera pour ce cher Chocolat de me voir lui tenir compagnie pour une fois" se disait Magret, dans son éternel optimisme. 

8h50. Magret sort de la chambre et se dirige tout doucement vers la bibliothèque où il croit qu'il va trouver son ami Chocolat. Or, lecteur, vous savez bien que ce dernier est en ce moment-même en train de se demander si oui ou non il va se jeter sous le feu du chalumeau. Mais Magret, lui, n'en sait rien, et il est bien surpris de ne point trouver Chocolat à sa place.

8h52. Magret cherche dans toute la pièce mais rien n'y fait, pas moyen de mettre la main sur son ami. Il faut dire qu'il n'était venu que très rarement chez M. Dupond durant les derniers mois, et le plombier avait apparemment mis ce laps de temps à profit pour changer énormément de choses dans son appartement. Magret est perdu. Et sans qu'il ne parvienne à comprendre pourquoi, un sentiment d'angoisse commence à poindre dans sa reliure.

8h53. Un bruit terrible se fait entendre dans la direction du buffet à vaisselle. Magret n'en mettrait pas son marque-page à couper, mais il a l'impression que le bruit provient d'un chalumeau. Mais à peine s'est-il fait cette réflexion que la porte de l'appartement s'ouvre dans un énorme fracas.

6

Mme Lingaux n'est pas du genre à prendre les vols à la légère. Surtout pas lorsque ceux-ci concernait un des précieux livres alimentaires. A la seconde même où elle comprend qui a volé Magret de Canard, elle entre dans une rage folle. Et je vous prie de croire que faire face à une bibliothécaire enragée est une des rares choses dans ce monde que je ne souhaiterez même pas à mes pires ennemis!

Pour vous aider à vous représenter un peu l'horreur, imaginez une vieille femme rachitique - Mme Lingaux dans son état normal, et je sais que ce que je vous demande là est déjà suffisement affreux - et ajoutez lui un teint cramoisi, des cheveux qui sortent de son filet à chignon tels les serpents de la chevelure d'une gorgonne et des yeux exhorbités à la limite de s'échapper de leur orbite. Voilà, vous avez dans la tête le parfait exemple de la bibliothécaire enragée.

Sans même prendre le temps d'enfiler un petit veston pour se protéger du petit vent de nord-ouest force 2 qui souffle dehors, Mme Lingaux se précipite en dehors de la bibliothèque telle une véritable furie. Les quelques rares hautcônois déjà dehors, pour la plupart sur le chemin du travail, n'en croit pas leurs yeux. Il faut dire que cette chère Mme Lingaux n'a pas pour habitude de se faire remarquer. C'est donc un véritable choc de la voir filer à travers les rues de la ville à une vitesse phénoménale, digne des plus grands courreurs de Formule 1.

Elle ne met pas plus de cinq minutes à débarquer devant la porte de l'appartement de M. Dupond, dont elle défonce la porte dans même prendre la peine de signaler sa présence.

Mme Lingaux est dans la place, et ce put**n de plombier va prendre cher. Oh que oui!

7

M. Dupond , sur le chemin de la maison de M. Enklume, ne se doutait absolument pas de ce qu'il pouvait se passer chez lui. Nous ne nous attarderons donc pas sur lui et ses activités matinales - à moins que vous ne vouliez à tout prix savoir comment remplacer un joint.

8

Chocolat s'est à peine jeté sous le feu du chalumeau que la porte de l'appartement s'ouvre dans un fracas phénoménal. Quel coup du sort est-ce encore là? Ne peut-il donc même pas mettre fin à ses jours tranquillement? 

A peine se fait-il cette réflexion que sa couverture prend feu petit à petit. C'est douloureux. Extrêmement douloureux même. Mais au moins atteindra-t-il son but, pense-t-il. Après tout, il est caché derrière le buffet à vaisselle, et la personne qui vient d'entrer dans l'appartement a certainement autre chose en tête que de fouiller minutieusement la pièce.

C'est sans compter sur la présence de Magret, qui une fois remis de la surprise de voir Mme Lingaux défoncer la porte, se dirige à toute alure en direction du buffet pour y découvrir Chocolat en train de bruler. 

"Chocolat !", s'écrit-il.

Ni une, ni deux, il se jette sur son ami pour l'éloigner du chalumeau. Se faisant, il se brule lui-même, mais peu lui emporte. Magret avait beau être optimiste, il était loin d'être naif, et surtout pas dénué de courage. C'était un livre profondément attaché aux gens qui l'entouraient : il portait même une certaine affection à ces deux vieux chez qui il était obligé de passer tous les mois. Alors sauver la vie d'un de ses plus chers amis ne lui demandait pas plus d'une seconde de réflexion, et qu'importe les conséquences qu'un tel sauvetage pourrait avoir sur lui.

Pendant ce temps, Mme Lingaux, elle, entre dans l'appartement et apperçoit Magret se lancer éperdument vers le buffet à vaisselle. Elle n'en croit pas ses yeux. Elle avait certes entendu parler des capacités spéciales des livres alimentaires, mais entre savoir et voir, il y avait une sacré différence. Une fois la surprise passée, la bibliothécaire se rend vers le buffet qu'elle pousse loin du mur... pour y faire la sinistre découverte de deux livres en train de bruler près d'un chalumeau allumé.

Mme Lingaux n'avait jamais ressenti un sentiment de panique tel que celui qui la saisit à cet instant, pas même lorsqu'elle avait du faire face à M. et Mme Jigo. La garde des livres alimentaires était sans doute la tâche la plus importante qu'on lui ai jamais confié. Mme Linvingston comptait sur elle, et ne manquait pas de lui rappeler à chacune de leurs rencontres. Ce n'était pas une insistance condescendante, semblable à un reproche ou une remontrance. C'était une insistance vitale. Il ne fallait surtout pas que quoi que ce soit arrive à ces livres. Jamais. 

Et pour le coup, c'était raté. Tétanisée, paralysée par le choc et la peur, Mme Lingaux vécu les secondes les plus longues de sa vie. Elle devait agir vite pour limiter les dégâts.

Elle prit le livre le plus proche et l'emmena sans traîner dans la cuisine où elle le passa sous le robinet. Mieux vallait un livre mouillé qu'un livre brulé. Il serait toujours temps plus tard de réfléchir aux meilleures méthodes de restauration. Aussitôt que le feu s'éteignit, Mme Lingaux retira le livre de l'évier et le sécha avec le linge que M. Dupond avait pendu à la poignée du four. C'était Chocolat. Il était dans un sale état, mais rien qui ne puisse être réparé.

Pour Magret de Canard, c'était une autre affaire. De retour dans le salon, Mme Lingaux ne pu que constater l'état critique dans lequel se trouvait ce dernier. Elle agit aussi vite que possible afin de sauver ce qu'il restait de lui. Mais une fois passée l'épreuve de l'eau, à peine la moitié du livre était encore dans un état convenable.

Chocolat, assomé mais toujours vivant, apperçu son ami dans les mains de Mme Lingaux. L'incompréhension, l'effroi et la tristesse se disputait dans sa tête. Ç'aurait du être lui. Pas Magret.

Mme Lingaux essuya la larme qui perlait de son oeil droit. Il n'y avait plus rien à faire. Magret n'était plus.

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